Mon mémoire: Le toucher et Alzheimer

 « Les mains sur la peau touchent l’âme à vif » – Christian Bobin

 

 I. Alzheimer, qu’est-ce c’est ?

 La maladie d’Alzheimer est une maladie qui tout doucement ronge notre mémoire pour finalement nous enlever nos souvenirs les plus précieux et la connaissance des gens qui nous entourent… le Monde dans lequel on vivait n’est plus, un Monde, souvent imaginaire, prend la relève. Un mélange de souvenirs, de déjà-vus et d’inventions prend le pas sur la réalité. Mais ce sont également les autres facultés cognitives qui sont touchées, pour finalement nous enlever toutes capacités physiques et nous pousser tout doucement vers l’Au-delà…

 

Officiellement, d’après Wikipedia, « La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative (perte progressive de neurones) incurable du tissu cérébral qui entraîne la perte progressive et irréversible des fonctions mentales et notamment de la mémoire. C’est la cause la plus fréquente de démence chez l’être humain. Elle fut initialement décrite par le médecin allemand Alois Alzheimer en 19061. »

 

  1. Les symptômes

Le premier symptôme est souvent la perte de souvenirs (amnésie), se manifestant initialement par des distractions mineures, qui s’accentuent avec la progression de la maladie. C’est d’abord la mémoire à court terme qui est affectée. Les souvenirs plus anciens sont cependant relativement préservés. L’atteinte neurologique s’étend par la suite aux cortex associatifs frontaux et temporo-pariétaux, se traduisant par des troubles cognitifs plus sévères (confusions, irritabilité, agressivité, troubles de l’humeur et des émotions, des fonctions exécutives et du langage) et la perte de la mémoire à long terme. La destruction des neurones se poursuit jusqu’à la perte des fonctions autonomes et la mort.

Symptômes Cognitif : Troubles de la mémoire, Troubles du langage, Troubles des gestes, Troubles de la reconnaissance, Troubles des fonctions exécutives

Symptômes Comportementaux :

Troubles affectifs et émotionnels, tels que : anxiété, apathie, irritabilité, euphorie, dépression

 

Troubles du comportement, tels que : agressivité, troubles du sommeil, désinhibition, idées délirantes et hallucinations

« Deux types de lésions du tissu nerveux caractérisent la maladie d’Alzheimer : les plaques séniles (ou dépôts amyloïdes) et la dégénérescence neurofibrillaire. Les constituants de ces lésions sont respectivement le peptide amyloïde (ou Aß) et la protéine Tau. Les causes responsables de l’agrégation de ces protéines en dépôts amyloïdes et dégénérescence neurofibrillaire sont encore inconnues, mais des facteurs génétiques et environnementaux contribueraient à leur apparition. Le premier facteur de risque est l’âge mais il existe également des facteurs de risque génétiques (formes familiales (<1 %) avec mutations sur le gène du précurseur du peptide amyloïde ou sur les gènes de protéines (présénilines) impliquées dans sa genèse), des facteurs de risque cardio-vasculaires ou encore l’intoxication par certains métaux lourds ou médicaments. »

L’acétylcholine est le neurotransmetteur (composé chimique libéré par un neurone agissant sur un autre neurone) qui joue un rôle dans le système nerveux central où il est impliqué dans la mémoire et l’apprentissage, mais également dans le système périphérique où il joue un rôle dans l’activité musculaire (…) et les fonctions végétatives.

 

Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer repose essentiellement sur l’interrogatoire, des tests neuropsychologiques et sur la mise en évidence d’une atrophie corticale qui touche d’abord le lobe temporal interne et notamment l’hippocampe, régions importantes pour la mémoire.

Le test neuropsychologique a pour nom MMS – MiniMental State Examination – qui regroupe des questions sur l’orientation temporelle et spatiale, 3 mots à retenir, un calcul mental, de la dénomination et un dessin à reproduire.

La maladie est généralement classée en 3 stades, selon les notes attribuées qui correspondent aux résultats de ce tests sur une notation de 30 points. Tests faits régulièrement.

Résultat égal ou supérieur à 25 – absence de démence

Résultat entre 20 et 25 – démence légère

Résultat ente 10 et 19 – démence modérée

Résultat inférieur à 10 – démence sévère

Les premiers signes de la maladie d’Alzheimer sont souvent confondus avec les aspects normaux de la sénescence, une dépression, un stress ou d’autres pathologies neurologiques comme la démence vasculaire. Elle fut ainsi sous-diagnostiquée jusque dans les années 1960.

Aujourd’hui, il n’existe aucun traitement pour guérir la maladie d’Alzheimer.

IL y a 2 médicaments sur le marché pour ralentir la progression de la maladie, mais les résultats sont controversés et les effets secondaires trop conséquents. Les médecins prescrivent généralement des anti-dépresseurs, des narcoleptiques, ainsi que des hypnotiques pour améliorer la vie des patients.

En parallèle, le système médical essaie de maintenir ou d’améliorer l’état des patients en organisant différentes sortes de thérapies :

–        Stimulation cognitive (atelier mémoire)

–        Activité physique

–        Bien-être corporel (relaxation, massage …)

–        Stimulation multisensorielle (aromathérapie, animaux, luminothérapie…)

–        Créativité (arts plastiques, musicothérapie)

 

  1. Alzheimer dans ma vie privée

a. Ma Maman

Maman a commencé à être malade il y a quelques années déjà. Au début on pensait qu’elle perdait parfois un peu la tête, qu’elle se répétait. Mais en plus des troubles de mémoire, les sautes d’humeur ont commencé, elle passait des pleurs aux cris, jamais de moment euphorique par contre. Je travaillais déjà en Suisse, mais je descendais la voir une fois par mois à peu près et je passais 2 ou 3 semaines de mes vacances avec elle aussi. Mais c’est devenu de plus en plus difficile et les 6 derniers mois avant le placement, je ne pouvais plus dormir chez elle, j’allais chez ma sœur.

Lorsqu’elle ne pleurait pas, elle s’énervait, elle se sentait persécutée, ou alors elle était à table mais son regard était hagard. Elle était ailleurs. Elle ne prenait plus soin d’elle non plus, au niveau de l’hygiène. Elle allait faire les courses 3 ou 4 fois dans la journée, elle oubliait tout, et refusait toujours d’aller voir un médecin, proclamant qu’elle n’était pas malade.

Je passe les détails difficiles de ce que mes sœurs et moi avons essayé de faire pour l’aider, sur les disputes car les avis divergent même si l’objectif est le même pour toutes, sur les portes qui se ferment au niveau de l’administration lorsqu’on a besoin d’aide, sur le fait de se sentir démunie face à une « situation » qui empire, se sentir seule et ne plus savoir quoi faire. Et pardessus tout, pour moi en tout cas, la peur de la confrontation avec maman, la pousser à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas faire, ou encore pire, la prendre par surprise, lui mentir pour la forcer à faire des examens qu’elle ne voulait pas faire, et subir son courroux (ses colères étaient violentes…) je ne pouvais pas, j’ai été lâche mais j’ai laissé cette tâche à mes sœurs. J’étais présente lorsqu’on a fait venir un médecin spécialisé Alzheimer pour la faire « évaluer », ce fameux test MMS, et voir sa Maman ne pas être capable de refaire un dessin banal ou de donner la date du jour, le jour de la semaine, la saison ou même l’année, c’est très difficile, d’autant que finalement, on s’aperçoit que c’est bien pire que ce que l’on pensait. Ce jour-là, je l’ai vu diminuée et ça m’a brisé le cœur.

Je ne le souhaite à personne.

Malgré cette confirmation officielle qu’elle était bien atteinte d’Alzheimer à un stade avancé pour son jeune âge et qu’elle ne pouvait plus vivre seule pour sa sécurité, on ne pouvait pas la placer sans son accord. Bien trop de cas de gens placés sans qu’ils soient vraiment malade ont fait se renforcer les lois.  La seule option était de faire une demande de mise sous tutelle, puis la faire placer, mais l’idée de faire « ce coup bas » à Maman nous rendait toutes malades.

Et finalement, la vie nous a donné un « coup de pouce » une nuit du 15 aout…  Maman a fait une « crise nocturne » pour la 1ère fois ; les voisins ont fait venir les pompiers et ce fut finalement l’occasion de la placer.

Ce placement a été la pire chose pour ma petite sœur qui a dû le gérer en direct alors que j’étais toujours en Suisse. Je prends un peu le relais aujourd’hui, maintenant que je suis installée de nouveau ici 😊

Ce fut le début d’un cauchemar administratif sans nom. Là aussi, je suis outrée de voir que le système ne met pas plus de solutions en place pour les familles dans des situations d’urgence. Si je n’avais pas eu un peu d’argent de côté pour avancer les frais, ils auraient remis Maman seule chez elle… !

J’ai mis du temps à venir voir Maman placée… j’étais terrorisée par ce que j’allais découvrir, je sortais d’une dépression et j’étais encore fragile. Le 1er établissement qui l’a accueilli était affreux, lorsque j’y suis allée, Maman avait les pupilles dilatées, des hommes baissaient leur pantalon pour montrer leur sexe, les gens hurlaient, et une odeur planait dans cet endroit qui ne donnait qu’une envie, celle de prendre ses jambes à son coup et d’en repartir.

Nous avons donc fait des pieds et des mains pour la placer aux Gabres, un établissement public, et là le changement fut radical. Maman n’a plus les pupilles dilatées, l’établissement est propre, le personnel qualifié, prévenant et attentif.

Là, j’ai découvert une nouvelle Maman. Plus de crises, plus de cris, plus de pleurs, mais une joie et une bonne humeur constante ! et ça, ça n’a pas de prix. J’en étais gênée au début, surtout lorsqu’elle a commencé à être tactile, me prendre par la main et me faire des câlins (pour ceux qui ont lu mon 1er mémoire, vous saurez.)

b. Cette maladie et moi

Cette maladie nous a tous rongé insidieusement pendant à peu près 10 ans et continue à le faire aujourd’hui. Voir sa Maman s’enfoncer et ne pouvoir rien faire, se sentir bloqué et démuni, une souffrance. Ma Maman a toujours été ma meilleure amie. En Suisse je lui téléphonais presque tous les jours et on passait des heures au téléphone. Mais tout ça s’est détérioré au même rythme que cette maladie prenait du terrain. Jusqu’au jour où je me suis retrouvée à faire le deuil de ma Maman qui n’était plus mienne.

Son placement a changé ma relation à ma Maman, d’un côté je l’ai retrouvée et de l’autre, elle est même mieux qu’avant. Toutes les barrières qu’elle s’était érigée sont tombées, plus aucune frustration, plus aucune retenue. Elle me prend dans ses bras, m’embrasse et me dit qu’elle m’aime. Choses qu’elle ne faisait pas avant ; même si elle m’a toujours montrée son Amour, mais différemment.

J’ai presque envie de remercier cette maladie pour les moments privilégiés qu’elle m’offre avec Maman aujourd’hui.

Mais cette maladie me met également face à mes peurs les plus profondes, la maladie et la mort. Parce que soyons réaliste, on a tous la même destination finale. Plus jeune, je le savais mais cela ne m’inquiétait pas et je pensais plutôt à profiter de la vie. Avec l’âge, des peurs sont apparues : maladie, souffrance, mort. Ne pas savoir est souvent mieux ; maman ne se rend pas compte qu’elle est malade et elle profite de sa nouvelle petite vie où tout le monde s’occupe d’elle, sans se poser de questions. Moi, à chaque fois que je la vois, j’ai en tête qu’elle est malade et lorsque je vois ses compagnons de secteur qui sont tous bien plus malade qu’elle, je sais que la maladie gagne du terrain chaque jour un peu plus et que Maman ne guérira jamais, bien au contraire.

Voir l’une des personnes qu’on aime le plus au Monde et se demander comment et combien de temps, dans quel état elle va se trouver demain ou après-demain. Mieux vaut ne pas y penser me direz-vous, mais on est obligé d’y penser car c’est sous mon nez et tout me le rappelle.

Au final, c’est elle la plus heureuse aujourd’hui, elle vit l’instant présent et ne se fait pas de soucis, c’est l’essentiel.

Quant à moi, j’essaie d’accepter, de ne pas (trop) penser à l’évolution possible, ou au combien de temps reste-t-il, je prie beaucoup (…)  et je veux juste profiter de Maman au maximum.

 

 

 II. Alzheimer et le Toucher

 

  1. Le Toucher

La définition officielle du toucher :

« Le toucher, aussi appelé tact ou taction, est l’un des sens extéroceptifs de l’humain ou de l’animal, essentiel pour la survie et le développement des êtres vivants, l’exploration, la reconnaissance, la découverte de l’environnement, la locomotion ou la marche, la préhension des objets et la nutrition, le toucher d’un instrument de musique, la recherche de l’exposition solaire ou la quête d’un espace agréable, les contacts sociaux, la sexualité… (…)

On a récemment montré la complexité du toucher. Chez le fœtus humain, c’est le premier des cinq sens à se développer même s’il ne s’agit pas d’un sens indépendant des autres. (…)

Fait trivial souvent oublié, se toucher ou se faire toucher de façon positive est crucial pour la survie de l’homme. Toucher les objets et les autres êtres vivants favorise l’apprentissage chez l’enfant, jusqu’à faciliter l’apprentissage de la lecture chez l’enfant qui s’initie à la lecture, comme chez l’adulte apprenant une langue étrangère. Enfin, il existe un nombre gigantesque de thérapies impliquant le sens du toucher. ( :::) »

La peau est le plus gros organe du corps humain, il contient les récepteurs sensoriels cutanés et il est également considéré comme l’organe de la communication entre le monde extérieur et le monde intérieur. La peau est le « lieu privilégié de l’expression émotionnelle ».

La peau reçoit les sensations extérieures, le chaud, le froid, le plaisir, un coup, etc., les transmet au cerveau qui les traduit en réaction physiques ou/et en émotions, la chair de poule, la peur, un rougissement, la douleur, la joie, etc… Le stress peut faire apparaitre des plaques rouges sur le visage ou encore des réactions cutanées. J’essaie ici de mettre en avant le lien entre les émotions et la peau.

Dans l’évolution de la société, face au surmenage et à l’oubli de l’essentiel, le bien-être fait une avancée en force. Sa définition est « état agréable résultant de la satisfaction des besoins du corps et du calme de l’esprit. » Le bien-être passe par penser à soi, prendre du temps pour soi, se réconcilier avec soi, se réaliser, être en harmonie avec soi, et également prendre du plaisir. Relaxation, détente, activités physiques, tant de choses pour nous mener à cette notion de plaisir/bien-être, dont les massages font partie.

Le toucher, dans l’univers du massage est préconisé pour se détendre et permet notamment :

  • – D’améliorer la circulation du sang, de la lymphe, de l’énergie
  • – Détendre les muscles
  • – Prendre contact avec son corps, se rencontrer à travers son corps
  • – Sentir l’unité du corps

 

  1. Alzheimer et le Toucher

Lorsque l’on m’a demandé de faire un mémoire sur le massage et un sujet d’étude en particulier, j’ai tout de suite pensé à « Alzheimer et le massage ».

Il me semble tellement évident tous les bénéfices que le toucher/massage peut apporter aux gens atteints de la maladie d’Alzheimer. Ces gens abandonnés petit à petit par leur corps, ont besoin de se le réapproprier, de le sentir et de se reconnecter à lui, ne serait-ce que le temps d’un massage. Ils ont également besoin de ce toucher bienveillant qui rassure, soutient et transmet des sensations positives. Amélioration de la circulation sanguine et lymphatique, détente musculaire, réduction des raideurs articulaires, détente globale, la liste est longue. On attribue au massage des vertus curatives, il stimule les défenses immunitaires et des études tendent même à lui donner des vertus anti-inflammatoires.

Prendre soin de son corps est une façon d’apaiser son esprit.

Nous savons que l’acétylcholine est impliquée dans la mémoire mais également dans les fonctions musculaires. Le lien entre le muscle et le cerveau est évident. Il est là quelque part, il est donc possible que le massage en agissant sur les muscles, agisse d’une façon ou d’une autre sur le cerveau et notamment sur la mémoire.

 

 

 III. Mon Projet

1. Présentation des personnes avec qui je travaille

a. Le personnel

J’ai donc expliqué ma démarche à la direction de l’établissement, au médecin et à la psychologue qui m’ont donné leur aval. Nous nous sommes dit que 2 personnes en plus de Maman serait très bien.

Je ne peux pas rentrer dans le vif du sujet sans parler des gens qui travaillent avec les malades d’Alzheimer dans cet EHPAD (maison de retraite médicalisée) Les Gabres à Cannes la Bocca. Médecins, psychologues, infirmières, aides-soignantes, mais également femmes de ménage, animateurs, aidants. Tous ces gens qui passent la plupart de leur temps avec les personnes atteintes d’Alzheimer, qui les connaissent plus que bien et qui également m’écoutent et répondent à mes questions dans le cadre de mon mémoire, mais surtout dans mes questionnements personnels et privés en lien avec cette maladie et Maman.

 

b. Maman, Simone et Hélène

Ma Maman a bientôt 78 ans, elle est placée dans une section spécialisée Alzheimer depuis l’été 2016 aux Gabres. Elle est considérée aujourd’hui comme ayant une démence « modérée ». Elle ne s’est jamais fait masser (d’après elle) mais elle a régulièrement des séances balnéo dans l’institut et elle a accepté avec plaisir que je la masse. Cette maladie me tenant à cœur, c’est ma Maman qui m’a inspiré le thème de mon mémoire.

Simone a une démence « sévère » de la maladie d’Alzheimer. Elle m’a été recommandée par le médecin et la psychologue car elle semble apprécier tout ce qui est en rapport avec le contact physique. Elle est encore apte à bouger, se déplacer et essaie de parler… Même si ces mots les plus clairs sont Oui ou Non… Il est donc difficile de communiquer correctement avec Simone.

Je connais déjà Simone, je la croise chaque fois que je vais voir Maman et elle fait partie de celles qui viennent vers moi, me prennent par le bras et veulent m’emmener en balade 😉 Nous nous sommes donc déjà retrouvées en tête à tête à se balader et « papoter » pendant que Maman était occupée à la balnéo!

Hélène est âgée de 80 ans environ et a une démence « sévère » de la maladie. Hélène se déplace et semble parler normalement. Sauf que ces propos sont souvent incohérents, les mots qu’elle choisit ne sont pas les bons. De plus, elle appelle toujours sa Maman et est en demande constante d’affection et de contact, d’après la psychologue. On m’a prévenu que la séparation était très difficile pour elle et qu’il était préférable de l’amener directement au gouter après le massage. Ainsi elle ne se retrouvera pas seule et passera directement sur une autre activité avec quelqu’un d ‘autre, en espérant que cela facilite la transition. Je ne connais pas Hélène car elle est dans une autre section au 1er étage.

 

 

2. Les premières séances – premier contact

a. Maman

Lorsque je l’ai installée pour débuter, elle n’avait pas l’air très contente de mettre sa tête dans le trou de la table de massage, un espace confiné (elle a toujours eu des angoisses avant d’être placée…) j’ai dû lui expliquer que c’était très confortable et que si ça ne lui plaisait pas elle pouvait mettre sa tête sur le côté ou changer de position. Finalement elle s’installe et après 10 secondes, elle ne dit plus rien et se laisse aller au massage… Ensuite, installée sur le dos, elle gardait les yeux ouverts et observait les lumières avec beaucoup d’attention… était-elle encore avec moi et le massage ?! en tout cas elle a dit qu’elle avait beaucoup apprécié.

Je dois avouer que ce massage a été très particulier pour moi. Tout d’abord, ma Maman est la seule que je puisse masser entièrement car son corps est encore « alerte ». Mais mon ressenti est très personnel. Ce 1er massage avec ma Maman… j’ai eu au début l’impression d’empiéter sur son espace personnel. Maman ne s’est jamais montré nue devant moi, même si elle était en petite culotte lors du massage, c’est la 1ère fois que je touchais ma Maman comme ceci. J’ai découvert une partie d’elle que je ne connaissais pas, j’ai découvert son corps. C’était troublant. J’en étais presque gênée.

Je me suis dit qu’elle avait la peau bien douce ma Maman. Je me suis dit qu’il en cachait des secrets ce corps. Certains d’entre eux, je les connais et ils ne sont pas beau à mentionner ici. Sans parler de tous ceux que je ne connais pas. Alors j’ai mis encore plus d’amour dans ce massage, cet amour que ce corps mérite et qu’il n’a pas assez connu. Une façon de palier, compenser et rééquilibrer. Mais son corps était tellement détendu pendant ce massage, à croire qu’une partie de ces souvenirs n’est déjà plus dans sa mémoire mentale et c’est tant mieux. Est-ce que la mémoire corporelle s’envole aussi avec Alzheimer ? peut-être.

J’ai vraiment l’impression d’avoir vécu un moment privilégié avec Maman, juste elle et moi, son corps et mes mains, tout son passé inscrit dans ce corps et mon humilité et respect à son égard.

Je l’ai massé encore quelques fois, mais je suis très honnête cela s’est rapidement estompé. Il y a 2 raisons à cela, la 1ère est que je ne suis pas sûre que ma gêne se soit envolée… la 2nde est que, très égoïstement, je préfère lui parler, échanger et me blottir dans ses bras. Je pense que l’envie de recommencer est là, mais il y a un temps pour tout, et j’ai préféré me concentrer sur Hélène et Simone. Je dois l’intégrer avant de recommencer régulièrement.

 

b.  Simone
1er contact

Simone était installée sur une chaise, seule, dans le jardin. La connaissant déjà, l’approche était plus simple pour moi. Je vais vers elle naturellement, la salue et m’assoie près d’elle. Elle est ravie de me voir, comme à son habitude. Me reconnait-elle vraiment ? Je ne sais pas à vrai dire.

Je commence à lui expliquer que je fais des massages et lui demande si ça l’intéresse. Elle me dit Non… oups… je cherche une façon détournée de l’engager sur ce terrain. Je lui prends la main tout doucement, elle qui adore le contact se laisse faire avec plaisir. Tout doucement, j’entreprends de toucher sa main d’une façon « thérapeutique », tout en lui demandant si elle s’était déjà fait masser. Elle me dit oui, et me raconte quelque chose que je ne comprends pas 🙁 je saisis mon huile de massage et lui demande si elle est d’accord pour que je la masse, elle me dit Oui!!

Ses mains sont ridées, fripées et surtout recroquevillées sur elles-mêmes ; ses doigts sont tout serrés, comme tétanisés. Je la masse tout doucement, un effleurage, puis petit à petit, mes mains sentent le peu de zones sur lesquelles ma présence peut être plus marquée, plus soutenue. Côté intérieur, côté extérieur, minutieusement avec beaucoup d’attention et de délicatesse, mes mains, mes doigts s’aventurent, à la découverte de cet espace inconnu que sont les mains de Simone, tétanisées par cette maladie, mais également pleine d’histoires, de son histoire, son vécu, son passé, ses secrets… Simone est absorbée par ce que je suis en train de lui faire, elle observe chacun de mes mouvements, mais elle observe également ses mains, elle observe et elle ressent ( je pense..)

Je suis émerveillée par ce que Simone dégage à cet instant précis, un mélange de curiosité, d’ébahissement, et de découverte, peut-être, et de plaisir, oui, elle a l’air heureuse !

Je lui demande ce qu’elle ressent, elle a du mal à répondre. Je lui demande alors si ses mains sont chaudes, elle me dit oui. Pour être sûre de sa réponse, je lui demande si ses mains sont froides, elle me dit non, (ses réponses ont donc du sens) et elle me dit  » bien..bien..bien.. »

Simone tremble un peu, c’est la maladie, alors je lui suggère qu’elle peut se détendre et laisser aller sa main se reposer sur la mienne et détendre son bras, ce qu’elle arrive à faire tout doucement, en tout cas, elle tremble moins.

Puis, comme par magie, ses doigts se desserrent !! Je n’en croyais pas mes yeux ! Je n’aurais jamais osé imaginer que cela puisse être possible ; mais si ! Sans que je lui demande quoique ce soit, ses doigts se sont décrispés, j’ai l’impression qu’elle – ou son corps- a senti que ses doigts devaient se détendre pour profiter pleinement de ce moment. Et c’est ce qui s’est passé, elle me donnait ses mains spontanément, elles changeaient d’ailleurs régulièrement de main, pour que l’une ne soit pas lésée ! J’ai donc pu lui masser chacun de ses frêles petits doigts.

Simone m’a ouvert les portes de ses mains !! Et plus encore…

Je lui parlais beaucoup en début de séance et au fur et à mesure je me suis tue, je suis complètement rentrée dans cet échange, non pas un massage, mais bien un échange. Simone qui se réapproprie une partie d’elle-même et me permet d’y laisser tout l’amour et la bienveillance qui m’animaient.

Un moment magique pendant lequel elle semblait prendre du plaisir.

J’ai donc terminé ce 1er massage « magique » avec Simone, je la remercie, lui explique qu’on va se voir une fois par semaine, si elle le veut bien, et la salue. Je rencontre l’infirmière avec qui je discute et Simone vient vers nous, vers moi plutôt et me tend ses 2 mains. L’infirmière s’exclame alors  » mon Dieu, ses mains !! » et oui, ses mains étaient toujours détendues et à priori l’infirmière ne l’avait jamais vu avec des doigts non recroquevillés et tétanisés.

1ere victoire sur cette maladie! Le toucher 1 – Alzheimer 0 –

Je me réjouis de voir jusqu’où on peut aller ensemble avec Simone, pourrait on atteindre un jour un massage du corps entier ? Est-ce que les tremblements qui habitent son corps pourraient se calmer pendant un massage ? pendant un certain temps ? Est-ce que Simone pourrait se souvenir des massages et en assimiler la régularité ? Pourrait-elle y prendre goût ?

Simone m’a ouvert un champ de possible avec le toucher et j’ai hâte d’en explorer chacune des possibilités !!!

 

2ème séance

Simone était de nouveau installée dehors, sur une chaise. Je m’approche et la salue vivement. Je lui propose de nouveau le massage, tout en sortant mes affaires, je me sens très à l’aise.

Simone adore ce moment à priori, nous rejouons presque la même scène que la 1ere fois ! Parfois je lui parle pour savoir ce qu’elle ressent, et parfois, je ne dis rien. Je me concentre juste sur ses mains, sa peau, ses réactions ou inactions. Je l’admire aussi, je la regarde avec Amour… oui cet Amour que chaque être humain devrait avoir envers son prochain…

Je la taquine en lui demandant si elle se souvient de mon prénom, ce qui n’est pas le cas, mais je ne désespère pas que cela puisse arriver un jour !

Simone m’a caressé les mains, une façon pour elle, je pense, de me remercier ou de me rendre la monnaie de ma pièce. Elle me dit également « bois…bois… » je suis obligée d’interpréter ce qu’elle essaie de me dire, comme elle ne parle pas très clairement. Alors je pense qu’elle essaie de me dire que ses mains étaient comme du bois et qu’elles le sont moins. Je peux en déduire ceci entre le moment où j’arrive et le moment où je la quitte. La différence est flagrante !

 

3ème séance

Ce jour-là, Simone est installée à l’intérieur, par contre, son regard a changé, il n’est pas le même, il semble perdu, ailleurs, comme égaré…

Je m’approche et la salue, comme à mon habitude, lui demande comment elle va et m assoie près d’elle et lui demande son accord pour lui masser les mains. Elle me dit NON !!!

Je suis déstabilisée, c’est la première fois qu’elle me refuse aussi fermement un massage. Le ton de sa voix était sans équivoque. Accepter, essayer de comprendre. Je demande aux infirmières ce qui lui arrive et elles m’expliquent qu’elle a mal aux dents et qu’elle ne vas pas bien, elle souffre et s’en trouve perturbée et irritée. Je comprends donc la raison de son refus.

 

4ème séance

Simone est installée à l’intérieur, il fait froid ces jours. Je m’approche et la salue, elle m’accueille avec un sourire immense. Elle me prend les mains et les embrasse !!! Je pense que sa mémoire travaille, Simone a enregistré ma « personne » et m’associe aux mains à priori.  Sa façon à elle de me reconnaître, j’en suis flattée. Quel plus beau cadeau que de voir Simone me reconnaitre à sa façon ?! Son sourire, son plaisir, sa tendresse et sa mémoire qui enregistre.

Ce jour, j’ai massé les mains de Simone comme d’habitude. Ses dents qui la faisaient souffrir lui ont été retirées. J’ai retrouvé ma Simone 😉

 

Autres séances

Les séances sont maintenant régulières. Simone semble faire la différence entre les fois où je la salue parce que je la croise en allant voir Maman et celles qui lui sont destinées. Lorsque son corps la fait souffrir, elle est soit agitée, soit plus « léthargique » et je ne peux pas la toucher. Son regard est la meilleure façon de jauger de son état. C’est assez impressionnant d’ailleurs. Alors tout simplement, lorsque Simone n’est pas « prédisposée » à notre séance, je l’accepte, en espérant que ça aille mieux la fois d’après.

Mais lorsque Simone est bien disposée, quel bonheur ce petit moment avec elle ! Parfois, elle me masse les mains lorsque je commence la séance !!! la première fois que s’est arrivé, j’en suis restée bouche bée !!! Elle sait, une partie d’elle sait que ce moment entre elle et moi, ce moment tourne autour des mains. Elle se souvient. Ce lien est bel et bien posé entre elle et moi et j’en suis très contente. Sa mémoire m’a enregistrée à sa façon.

Le plus difficile est de rarement comprendre ce qu’elle me raconte, mais les « bien bien bien » me conviennent parfaitement.

De temps en temps je lui fais des petites pressions sur les bras et les jambes, très légères bien évidemment, juste une façon de la mettre en contact avec le reste de son corps.

Simone est de plus en plus tactile avec moi, elle embrasse mes mains et j’ai également droit de temps en temps à un bisou volé de la part de Simone 😉, et lorsque je suis assise dans le jardin avec Maman, il lui arrive de me « sauter dessus » par derrière… Sacrée Simone !

J’ai beaucoup d’affection pour Simone, bien évidemment le lien se crée dans les 2 sens. Serait-ce un piège, une erreur ? tout ce que je fais, je le fais avec Amour et j’en ai à revendre. L’attachement est inéluctable.

 

c. Hélène

Avec Hélène, le 1er contact s’est avéré beaucoup plus difficile que ce que je pensais.

Elle était seule dans sa chambre lorsque je suis arrivée et pas une infirmière sur l’étage pour me présenter à elle… Je me prends par la main et décide d’aller la voir et de me présenter, comme une grande fille que je suis.

Elle était allongée sur son lit avec une peluche dans les bras, le fameux côté infantile. Je me présente et lui explique que je suis là pour la masser, je lui demande son autorisation pour lui masser les mains, elle accepte. Mais, contrairement à Simone, elle ne reste pas concentrée sur ce que je lui fais et n’arrête pas de parler. Elle me demande où est sa maman et dit des choses non compréhensibles… Je lui parle gentiment, en essayant de la rassurer et de la mettre en confiance. Je lui pose aussi des questions sur elle, tout en sachant qu’elle ne pourra pas me donner de réponses forcément justes, mais ne serait-ce que de lui parler pour essayer de focaliser son attention.

« Quelle est votre couleur préférée ? Est-ce que votre peluche a un nom ? on pourrait lui en trouver un ensemble…. Avez-vous des enfants ? »

Je ne trouve pas de sujets qui captent son attention… elle continue à gémir, geindre et réclamer sa Maman… le désemparement me guette… je la redirige alors sur le massage des mains en lui demandant ce qu’elle ressent, si ça chauffe, si ça lui fait du bien, etc… Ça ne fonctionne pas, elle continue à gémir, presque à pleurer. Je lui demande si elle souhaite que j’arrête à plusieurs reprises, mais à chaque fois elle me dit de continuer.

Sa détresse intérieure est immense, et plus le temps passe et plus je la ressens, elle se fait tellement intense que finalement elle déborde sur moi et commence à m’engloutir … je ne peux plus moi-même me concentrer sur ce que je lui fais et mes émotions commencent à s’agiter. Je ne suis plus dans ce toucher bienveillant, de l’instant et neutre… beaucoup de choses remontent à la surface, un mélange de souvenirs, sensations, émotions, ressentis, le tout très angoissant… je décide alors de terminer ce 1er contact que je ne trouve pas très fructueux.

La nausée me tient en otage et des questions m’assaillent :

« Est-ce une bonne idée ? Est-elle une bonne candidate ? Mais qu’est-ce qu’une bonne candidate ? est-ce qu’une partie de son inconscient (au moins…) est capable d’apprécier ce toucher bienveillant ?! Est-ce que cela lui fera au moins du bien et surtout pas de mal ? Suis-je à la hauteur ? Suis-je assez forte pour vivre ceci ? Suis-je prête ? »

Je la ramène dans la salle principale, je dois la quitter en douceur, et surtout trouver quelqu’un pour la récupérer, prendre le relais… le poids de la séparation et de ce que cela engendre chez elle pèse sur mes épaules. Il y a du monde dans la salle, et une dame, qui aide aux animations, qui veut bien m’aider (toujours pas d’infirmière en vue…) Surtout de la douceur… elle ne veut pas que je parte, elle souhaite que je reste auprès d’elle, malgré cette gentille dame et toutes les personnes autour d’elle. Je suis obligée de la quitter discrètement, sans lui dire aurevoir, de m’enfuir quasiment, sur les conseils d’une infirmière (qui s’est finalement montré) ce qui me brise le cœur.

A cet instant précis, je ne suis pas fière de moi, bercée par tant d’illusions mises en miettes en un si court laps de temps… cette tâche que je me suis appropriée n’est pas si facile, mais une partie de moi le savait… cette maladie me touche personnellement, tout me ramène à ma Maman, ce que j’ai déjà vécu, ce que je vis actuellement et ce que je vivrais dans l’avenir avec Alzheimer. Un miroir du passé, du présent et de l’avenir. Ceci me met également en face de mes peurs les plus profondes, la vieillesse, la maladie et la mort…

Je dois être un peu sado pour choisir un sujet si délicat pour mon mémoire !!! Mais je veux le faire, ce projet est ma thérapie pour ACCEPTER, j’en ai besoin… Je me dois d’être à la hauteur … pour moi mais surtout pour ELLES et pour cet art qu’est le toucher que je sais et j’imagine capable, au-delà de mes espérances, de faire des miracles…

Cette infirmière que j’ai croisée a souhaité me parler en aparté. Elle savait qui j’étais, m’a posé des questions sur mon parcours et ce qui me poussait à faire ça. Elle a fini par me dire qu’elle voyait dans mes yeux que je faisais ça avec mon cœur, que ça se sentait… cette phrase m’a troublée, gênée car d’une certaine façon elle m’a mise à nue. Oui je fais ceci avec mon cœur.

Je l’ai pris comme une jolie façon de me conforter dans ma démarche, en ce moment de troubles.

 

2ème séance

Ce jour-là, les infirmières sont présentes, Dieu merci, cela me rassure un peu. J’arrive avec beaucoup d’appréhension aux vues de la première et dernière séance. Cette fois-ci, on me suggère de l’emmener dans une petite salle, reliée à la salle commune, que l’on nomme le PASA. Je vais vers Hélène qui était installée dans la salle commune, je me présente à elle, comme à chaque fois et lui demande si elle veut bien que je la masse… elle à l’air perdu (de nouveau…) mais elle finit par me suivre. Je l’installe confortablement sur un fauteuil et me place près d’elle. Objectif du jour : l’emmener vers la détente en lui massant les mains. Je lui demande si elle aime la musique, elle me dit oui. Je mets alors de la musique de relaxation Zen sur mon téléphone. Elle semble conquise. Je commence alors le massage, mais Hélène est vite perturbée, ses démons remontent à la surface… elle appelle de nouveau sa Maman, j’essaie de lui parler, mais rien ne semble l’apaiser. Je me retrouve de nouveau désemparée, que faire pour la calmer ? comment attirer et capter son attention sur ce que je lui fais ?

J’abandonne et la ramène dans la salle, mon désarroi est profond, je ne sais plus quoi faire. J’en parle avec les infirmières mais j’ai l’impression d’être devant un mur et je ne vois pas d’évolution possible. La conversation tourne autour du fait de choisir un autre candidat, cela me semble être la meilleure solution pour elle, comme pour moi, mais quelque chose ne va pas, je me sens mal avec ce nouveau virage.

Quelques jours plus tard, je participe à ma dernière semaine de formation massage et je parle d’Hélène à ma professeure, Cécile Durin. Cécile me fait beaucoup parler de ce que je ressens et de ce qui passe en moi avec ce projet. Elle me fait comprendre qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais candidat, mais que les difficultés que je rencontre font partie intégrante de ce projet. Très juste. Du coup, cela devient presque challenging pour moi. Je me repositionne dans ma tête au fur et à mesure de l’échange avec Cécile. Bien sûr que ce projet est difficile pour moi, je le savais dès le départ. Toutes ces émotions qui remontent à la surface, ces peurs que j’affrontent, mais également ces joies qui me submergent, cet amour dénué d’à priori ou de quelconques barrières mentales ou autres. J’ai décidé en mon âme et conscience de faire ce projet pour ma maman, pour cette maladie et pour ces gens atteints d’Alzheimer. Ce beau projet a donc son lot de contraintes, et je me dois de m’y plier, les accepter, que dis-je, les accueillir ! « La souffrance est un moteur d’évolution » merci Cécile pour ces belles paroles, percutantes de sens et de véracité. Leur souffrance, la mienne, nos souffrances me poussent à réaliser ce projet.

Hélène m’a été suggérée pour ce projet et je n’ai pas le droit de la « remplacer » par quelqu’un d’autre. La tâche est plus difficile, le résultat en sera encore meilleur. Je continue avec Hélène !!

 

3ème séance

Ce jour est très ensoleillé, Hélène me parle souvent du temps et a l’air d’y être sensible. J’arrive ce jour pleine d’espoirs.

Les infirmières sont là, ce qui me rassure de nouveau, et Hélène est installée dans la salle commune. Je me présente et l’installe dans le PASA. Aujourd’hui Hélène rayonne, comme le soleil, ce qui est très agréable à voir. Elle me suit gentiment, s’installe sur le fauteuil, se laisse faire, me parle un peu. Au fur et à mesure du massage, je lui parle moins, voir plus du tout. Nous avançons comme d’un commun accord, implicite, non-dit mais approuvé. Finalement nous ne parlons plus, Hélène est « ailleurs », elle a les yeux dans le vide, bercé par la douce musique, elle a l’air de voyager… ! ce n’est pas le regard vide et perdu, c’est un regard qui raconte, qui découvre ou redécouvre, c’est un regard rempli de belles choses. Pour la 1ère fois, Hélène semble détendue. Est-ce qu’elle savoure ce massage ?! je n’ose même pas le penser, mais plutôt que de me poser des questions, je préfère stopper mes pensées, juste être dans l’instant, comme pour la laisser là où elle se trouve sans la perturber. Elle a l’air tellement bien.

Nous finissons la séance tout doucement, c’est l’heure du gouter dans la salle commune ; je l’y amène et l’installe sur un fauteuil. Hélène est calme, j’en suis toute émue. Je lui explique que je m’en vais et que je serai de nouveau présente la semaine prochaine. Hélène me regarde, me remercie et me dit « Aurevoir… » j’en reste bouche bée !! Hélène qui déteste les séparations et qui se met d’habitude dans tous ses états, cette Hélène me salue poliment et tourne la tête.

Je n’en reviens pas de ce changement soudain, de cette acceptation de la séparation, qui au final n’est qu’un aurevoir, nous sommes d’accord, mais pour Hélène c’est un changement ENORME. Un moment de lucidité ? est-ce que cette détente apparente en serait la cause ? Hélène a illuminé le reste de ma journée ; en me couchant le soir même cela tournait encore dans ma tête. J’ai vraiment bien fait de continuer avec Hélène, merci Cécile ! J’ai conscience que la tâche est ardue et que cela ne se passera pas comme ça à chaque fois, mais je tiendrais bon !

 

4ème séance

Aujourd’hui le temps est à la pluie et maussade, comme Hélène lorsque j’arrive. Son regard est hagard, elle est mal coiffée (ce qui est la 1ère fois) et me dit que ça ne va pas lorsque je lui pose la question. Je sens les difficultés, aujourd’hui va être difficile. Je l’emmène tout de même au PASA, mais je sens bien qu’elle ne comprend pas. Elle me demande où l’on va, elle appelle « maman «. Je l’installe sur le fauteuil mais ça ne va pas, Hélène ne va pas bien, elle bouge dans tous les sens, elle raconte des choses incohérentes, elle s’agite. Même porte fermée, nous entendons le brouhaha de la salle commune. Plus le brouhaha augmente, plus elle s’agite. Aujourd’hui n’est pas le bon jour, je décide alors de la ramener dans la salle commune, ne surtout pas insister. Mais là, c’est encore pire, elle commence même à hausser la voix, ce qui me perturbe. Je l’assoie sur un fauteuil, et lui dit que je m’en vais mais elle se met à basculer le haut de son corps d’avant en arrière, je la sens proche du trop-plein, et ça ne rate pas, elle se prend la tête violemment entre les mains et se tire les cheveux. Je suis choquée, non pas par ce qu’elle fait, mais pas son état de détresse immense, pire que la 1ère séance où elle ne faisait que pleurer, là il y a également de la colère et c’est la 1ère fois.

Cela arrivait à Maman lorsqu’elle n’était pas encore placée, mais pas de cette façon, pas aussi violemment. Je me tourne vers les infirmières qui m’expliquent que ça lui arrive de temps en temps. Son état se dégraderait depuis quelques temps, même si elles notent du mieux après mon passage. Elles ont l’air d’avoir l’habitude. Tout cela m’intrigue, qu’est ce qui a pu se passer pour qu’Hélène se mette dans cet état ? quelque chose l’aurait fortement contrarié ? je sens que le bruit ne l’aide de toute façon pas à se calmer.

 

Autres séances

Hélène a changé de secteur, le sien était trop bruyant, ce qui d’après les médecins la perturbait. Cela me rassure car j’avais bien senti le besoin de calme suite à sa dernière crise. Du coup, elle se retrouve dans la même section que Maman et Simone 😊

Elle est en effet beaucoup mieux depuis qu’elle a déménagé.

Le changement flagrant avec Hélène lors de nos séances est qu’elle ne pleure plus au moment de la séparation. Elle me laisse partir tranquillement. Bien évidemment je dois lui expliquer plusieurs fois que je dois la quitter et que je reviens la semaine prochaine, mais je note une nette amélioration.

Il semblerait que le calme de ce secteur y soit pour beaucoup, selon mon ressenti en tout cas et avec la confirmation du personnel lorsque je leur en parle. Les personnes atteintes d’Alzheimer ont besoin de calme.

Hélène a ses jours elle aussi. Il y a des fois où je ne peux pas la masser, surtout lorsqu’elle est trop agitée. Mais cela se fait de plus en plus rare, ce qui est très positif.

Par contre, contrairement à Simone qui observe et savoure ses massages, Hélène est beaucoup moins concentrée sur ce que je lui fais, soit elle me parle, soit elle voyage. Elle a l’air d’être plus en recherche de « compagnie ». Je ne peux pas savoir ce qui se passe dans sa tête, mais dans tous les cas, ce moment d’échange est apprécié, à sa façon, et ça j’en suis certaine !

 

3. Résultats et évolution

Les résultats ne sont pas quantifiables dans ce projet, il s’agit plutôt d’une appréciation globale d’un mieux-être ou de l’amélioration de comportements.

Amélioration du sommeil, baisse de l’agitation sont des notions beaucoup plus significatives. Les meilleurs juges sont le personnel, ces personnes qui passent 12h d’affilés avec ces gens atteints de la maladie d’Alzheimer.

D’autre part, je souhaite préciser que la maladie sabote un peu ce travail de détente et bien-être. Car malheureusement cette maladie gagne du terrain chaque jour, les états de santé se dégradent et nous sommes dépendants de l’état de la personne. Une personne agitée ne sera pas du tout réceptive à un massage. Mais ces séances sont essentielles à leur bien-être et je préfère jongler avec les humeurs de la maladie que d’abandonner.

 

 

IV. Et demain ?!

Je souhaite continuer à rencontrer Hélène et Simone chaque mercredi, pour elles et pour moi.

Ces liens tissés méritent d’être entretenus et pourquoi pas envisager un pas en avant dans leur bien-être. Cette maladie n’a pas de traitement pour l’instant, mais à défaut de les guérir, on peut améliorer, soulager, apaiser et donner de l’amour tout simplement.

Peut-être que les massages prodigués dès la perception des 1er symptômes de la maladie pourraient en atténuer les effets ou en freiner l’évolution ?

Le massage en général est un « outil d’accompagnement vers le chemin du bien-être », qui à mon humble avis, devrait être obligatoire dans la vie de chacun et à tout âge. Mais encore plus pour les gens malades, qui ont particulièrement besoin de se sentir en accord avec leur corps et leur esprit.

Certains diront que ce projet est ma thérapie pour accepter la maladie qui touche ma Maman, et la réponse est oui. Mais je le fais avec tout mon coeur et pour le moment je ne veux pas arrêter.

Cette maladie m’a enlevée une partie de ma Maman, mais seulement une partie pour l’instant. Et bien au contraire, cette maladie a fait tomber des barrières que Maman s’était mises pour se protéger. Aujourd’hui je peux embrasser ma maman et la prendre dans mes bras sans aucune retenue, maman me dit qu’elle m’aime à chaque fois que je la vois, comme pour rattraper les fois où elle ne l’a pas fait.

Ce côté me donne envie de remercier la maladie, qui me fait vivre des instants de complicité qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire – si celle-ci n’est pas emportée par Alzheimer – psychologique mais aussi dans ma mémoire corporelle.  Il y a toujours différents points de vue pour une même situation, s’accommoder d’une situation malheureuse pour mettre en avant le meilleur, c’est ce que j’essaie de faire.

Enfin, bien plus qu’une thérapie personnelle, je voudrais apporter du mieux-être dans la vie des gens, qu’ils soient en pleine forme, jeune, vieux, malade, handicapé ou autres. Ceci est mon objectif. Ce métier de masseuse bien-être ne s’est pas imposé à moi par hasard, il me correspond et c’est ma façon d’apporter, je l’espère, du bien-être ainsi que ma petite contribution au mieux-être de tous ceux qui voudront bien laisser leur corps entre mes mains.

 

V. Conclusion

 Aujourd’hui, avec le peu de recul de ces quelques séances, ou devrais-je dire, de ces moments passés avec Simone, Hélène et Maman, ma conclusion est claire.

Ces personnes malades ont besoin qu’on les regarde droit dans les yeux, elles ont besoin qu’une main bienveillante se pose sur leurs mains, leurs épaules, elles ont besoin qu’on leur parle, qu’on passe du temps avec elles, qu’on les considère… elles ont besoin de se sentir vivantes. Vivantes dans ce corps et ce cerveau qui les abandonnent malgré elles.

Alors les toucher me semble primordial, pour les apaiser d’une part et pour leur faire ressentir leur corps qui est toujours là. Mais également pour leur montrer notre présence.

C’est triste à dire, mais le plus difficile à vivre est pour les familles, ces familles en détresse qui ont déjà perdues un être cher même s’il est toujours vivant et présent physiquement.

Devenir le témoin de cette maladie qui nous enlève peu à peu la personne qu’on aime… faire le deuil tout en étant présent, c’est affreux et je ne blâme pas les personnes qui ne s’en sentent pas capables.

Mais cette personne qu’on aime est toujours là ! un peu différente, certes, mais toujours là quand même. Et elle a besoin qu’on l’accompagne sur ce chemin.

   

VI. Remerciements

Je tiens à remercier l’EHPAD des Gabres, tout d’abord pour s’occuper aussi bien de ma chère Maman et ensuite pour m’avoir permis, avec l’accord des familles, de masser Hélène et Simone et de me soutenir dans mon projet.

Merci à la Directrice, Mme Gerardin, ainsi que Mme Pariante, Docteur et Mme Lucas, psychologue.

Et un merci particulier à toutes les infirmières et aides-soignantes, qui desservent une mention spéciale, pour le cœur qu’elles mettent dans leur travail, qui est, à mon humble avis, une vocation. Merci de vous occuper si bien de nos méres, pères, frères ou sœurs, et du temps que vous prenez pour nous parler à nous, familles, nous soutenir, nous rassurer…

Isabelle, Malika, Zerfa, Virginie et toutes les autres, du fond du cœur, Merci 😊